Bernard de CAZILLAC – Evêque d’ALBI :
1434 – 1462
Bernard de CAZILLAC, deuxième fils de Bernard II, baron de CAZILLAC (dans le Haut Quercy) et de Benoite de MONTFAVES dont le père Guillaume de MONTFAVES était Seigneur de NOAILLES et d’ALAYRAC. Bernard est licencié es décrets, prévôt du Chapitre d’ALBI et prieur de Notre-Dame des FARGUES dans ALBI, lorsque le siège épiscopal de cette ville vint à vaquer au mois de septembre 1433 par la mort de Pierre NEVEU. Bernard appartenait à une famille qui avait fourni cinq cardinaux à AVIGNON : Bertrand de MONTFAVES (prononcer MONTFAVEZ), des PRES de MONTPEZAT, Guillaume I, Faydit, Guillaume II d’AIGREFEUILLE et qui ont contribués à l’élection de sept papes avignonnais de 1316 (Jean XXII) à 1378 (Clément VII).

Le chapitre des chanoines de Sainte Cécile d’ALBI voulant user de son droit, conformément à un récent décret du Concile de Bâle qui rétablissait les élections des évêques par les chapitres et abolissait les réserves pontificales, élut Bernard de CAZILLAC le 6 avril 1434 par 5 voix sur 13 (les
autres voix s’étant réparties sur d’autres candidats). Il fut alors se faire reconnaître et consacrer dans l’église des Cordeliers à Bâle le 12 février 1435, par les évêques de Lectoure et de Lausanne. L’archevêque de BOURGES, consulté par le concile, confirmera la décision de Bâle. Mais, à son retour, Bernard de CAZILLAC trouva un compétiteur en la personne de Robert Dauphin. Celui-ci, de la lignée des Dauphins d’Auvergne, apparenté aux Bourbons, déjà évêque de Chartres, a la sollicitation du Roi Charles VII son cousin et fut nommé par le pape Eugène IV au même siège en avril 1435 en usant du droit de réserve bien que ce droit fût aboli. C’est ainsi qu’il y eut en présence deux titulaires, revendiquant chacun pour lui le droit divin, et disposé à le faire triompher par la force terrestre. Déjà l’évêque légitime avait reçu l’obédience de ses diocésains et l’hommage de ses vassaux. De retour en Albigeois au mois de juillet 1435, Bernard met à profit une absence de Robert DAUPHIN retourné dans sa famille en Auvergne pour s’emparer de COMBEFA et de la BERBIE.

Aidé de Bertrand et de Guillaume de CAZILLAC ses frères, des Jean et de Raymond de CAZILLAC ses neveux, d’un grand nombre d’autres seigneurs et de gentilshommes du Nord-Albigeois (« … Bernard de Cazillac attira à lui beaucoup de Noblesse d’Albigeois, de Quercy et de Rouergue … Bertrand et Guillaume de Casilhac, ses frères ; Jean et Raymond de Casilhac, fils de Bertrand ; Jean, Vicomte de Montclar ; Mathelin Seigneur de Cardaillac ; le Seigneur de Bieduer (Béduer) ; Flotard Seigneur de Bar, Chevalier ; le Seigneur de Villebrumier et Fromasis Salomon de Castairds (Castayrols ?) son frère ; Bernard de Tonnac ; Chiro de Monestier et ses deux fils ; le Prieur de Montclar ; Pierre et Aymard de Marsault, frères ; Barthélemy d’Albigeois (Albiges) Seigneur de Mailloc ; Pons du Puy Seigneur de Canhac (Cagnac) ; Lucas d’Hébrard Seigneur de Lacourtade (il s’agit d’un Ebrail ou Hebrail des Seigneurs de Tonnac, Lacourtade …) ; le bâtard de Landorre ; Pierre de Broquiers (Broquiès, Chevalier, Seigneur de Vensac ; Jean Berard (Bérail) Seigneur de Sayssac (Cessac) et de Milhars ; Pierre de Vignes, Chevalier, Seigneur de Verdier ; etc. … Ils assiégèrent La Berbie, se rendirent maîtres de toute la ville d’Albi dont ils confièrent la garde à Guérin de Lescure avec défense d’y laisser entrer quiconque porterait des lettres du Pape ou du Roi.)

Bernard de CAZILLAC vint à bout de vaincre son rival qui avait appelé à son aide le fameux chef des routiers Rodrigue de VILLANDRANDO (beau-frère du Duc de Bourbon) à la tête de 4 à 5 000 cavaliers. Appuyé par des troupes royales et des sénéchaux de Toulouse et Rouergue, Robert DAUPHIN a aussi des partisans dans Albi. Rodrigue de VILLANDRANDO avait posé son camp à LESCURE et de là lançait ses routiers qui pillaient les maisons, incendiaient les moissons et violentaient les femmes. Il finit par s’installer à « l’ostallaria » Saint Antoine que ses routiers vidèrent de toutes ses réserves de lards, jambons et vins.
Bernard de CAZILLAC enfermé dans le château épiscopal provoqua le siège de la ville par les routiers. La population albigeoise ne supporta pas les ravages causés par ces routiers autour d’Albi et demandèrent à Bernard de CAZILLAC de capituler et de sortir avec armes et bagages. Rodrigue de VILLANDRANDO tout armé et éperonné prit possession de la cathédrale au nom de Robert DAUPHIN. Après cela, Rodrigue laisse une garnison à ALBI et s’en ira mettre le siège devant d’autres places tenues par des partisans de CAZILLAC.
Bernard abandonna la ville épiscopale à son frère Bertrand et alla établir sa résidence à CORDES.
Ce fut une lutte scandaleuse qui dura plusieurs années et qui bouleversa une partie du Languedoc. On se battit, on assiégea, on prit des villes, on incendia des maisons, on pilla le trésor de la cathédrale et celui de l’église de FARGUES, enfin on commit tous les excès que la haine peut inspirer à deux armées ennemies.
Après ces exploits, CAZILLAC court se mettre à l’abri dans l’enceinte de CORDES où il devait compter beaucoup de partisans.
En 1436, Bernard de CAZILLAC et Robert DAUPHIN revendiquèrent à main armée la possession de l’évêché d’ALBI sur MONTIRAT. Bernard de CAZILLAC aidé par C. de MONESTIES et ses fils, par le chevalier Flotard seigneur de BAR en limite du Tarn et Aveyron, s’empara des biens en litige. C’est ainsi que MONTIRAT fut assiégé et pris par les adhérents de CAZILLAC qui y placèrent Flotard de BAR en garnison. Mais avant la fin de l’année, Robert DAUPHIN appela le chef des routiers Rodrigue de VILLANDRANDO et celui-ci se présenta devant MONTIRAT. Flotard de BAR, sommé de rendre la forteresse, ayant dédaigné les menaces de Rodrigue, eut sa terre mise à feu et à sang et perdit son château de BAR (Moularès). Afin de mettre un terme à la lutte des deux évêques, le roi étant à MONTPELLIER ordonna à ses sénéchaux au mois de mars 1437, de se saisir des forteresses occupées par les partisans de CAZILLAC et notamment de celles de CORDES, COMBEFA et MONTIRAT. L’armée royale arriva en conséquence devant cette dernière place le 1er mai, et le sénéchal de Rouergue Guillaut d’ESTAING, emporta d’assaut le 3 mai 1437 après 3 mois de siège. FLOTARD perdit son château de BAR qui devint un repaire de plus pour les routiers.
En 1437, la vierge d’argent doré de FARGUES sert à gager un emprunt demandé par les consuls d’Albi et destiné à payer trente-quatre pièces de drap qu’on avait acheté pour vêtir les routiers de Rodrigue de Villandrando.
Bernard de CAZILLAC et son frère Bertrand recrutèrent un autre contingent de routiers Gascons sous le commandement du seigneur de LACOSTE avec lesquels ils prirent la forteresse ecclésiastique de COMBEFA et après avoir dévasté les environs, allèrent jusqu’à piller le tronc de Sainte Cécile d’Albi.
Bertrand fut désigné par son frère commandant militaire de la défense d’ALBI.
Confiant de son succès, Bernard de CAZILLAC reprit le chemin de CORDES, sa résidence habituelle. Mais la ville de CORDES fut à son tour maltraitée. Les consuls oublièrent les lois de l’hospitalité et laissèrent pénétrer dans leurs murs, au milieu d’une nuit, quarante gens d’armes composés de routiers de Rodrigue de VILLANDRANDO et d’aventuriers Ecossais. CAZILLAC surpris s’évada en chemise, son grand vicaire fut pris et le château ainsi que les maisons furent saccagées pour compenser la non attribution de la rançon promise. Charles VII accordait le 30 avril 1437, des lettres d’abolition aux habitants de CORDES qui avaient pris fait et cause pour CAZILLAC.
Robert DAUPHIN avec l’appui des forces royales, des sénéchaux du Rouergue, de Toulouse et de Carcassonne recouvre la ville épiscopale et ses prérogatives en 1437. Au cours des luttes qui mettent aux prises les gens d’armes des deux partis autour de la Berbie, la cathédrale romane qui se dresse entre le château des évêques et la vieille cathédrale est détruite.
Après le conflit armé, s’opère le recours à la justice afin de faire reconnaître le droit électoral des chapitres. Il fallut l’intervention du Parlement de Paris pour mettre fin à ces hostilités. A partir d’avril 1437 l’avocat Jean LUILLIER prit en main la défense de Bernard et gagna l’opinion publique. Le Parlement mit longtemps à prendre une décision. Deux arrêts, non définitifs, furent rendus comme favorable à Bernard de CAZILLAC les 23 mars et 15 juillet 1439. Le schisme éclatait alors au sein de l’église. En 1440 le Parlement déclara n’avoir entendu en rien par ces deux premières décisions, préjuger en rien sur les droits contestés ; il ordonna d’obéir à Robert DAUPHIN jusqu’au jugement définitif. L’évêché d’ALBI fut mis sous séquestre et deux Présidents du Parlement vinrent en prendre possession au nom du Roi et on confia l’administration spirituelle à l’évêque de LAVAUR.
Robert DAUPHIN resta en possession paisible de sa fonction pendant 18 ans et le pape nommait le 26 janvier 1453 par mesure de pacification, Bernard CAZILLAC au siège de LODEVE.
Les CAZILLAC étaient ruinés et durent emprunter auprès de Jean de PRADAL, riche bourgeois d’ALBI. Enfin le Parlement publia les arrêts définitifs en faveur de Bernard de CAZILLAC en 1454 et 1456 et qui l’autorisa enfin d’officier le 1er novembre 1455 à Sainte Cécile.
Le pape CALIXTE permit à Bernard de disposer de ses biens par une bulle de l’an 1458.

Robert DAUPHIN se retira, fit une instance devant le Parlement et fut condamné par un nouvel arrêté du 1er avril 1461. Il décèdera en octobre 1461 à BRIOUDE près de BRIVE où il s’était retiré.
Bernard CAZILLAC est enfin reconnu par le Pape Pie II en avril et le 12 octobre 1461.
Il ne jouit pas longtemps de son évêché, mourut le 12 novembre 1462 et fut inhumé dans le cœur de la nouvelle cathédrale devant le maître autel. En 1831 il fut procédé au remplacement du parquet de chêne du chœur par un dallage de marbre qui a entraîné la disparition de plusieurs pierres tombales dont celle de Bernard de CAZILLAC…
C’est Bernard de CAZILLAC qui posa le 3 mars 1460 la première pierre de l’agrandissement de l’église Saint Michel de CORDES et y mit un écu.

L’église prit un aspect militaire sous un clocher octogonal àsouche carrée plus élevée que la nef. Le plan s’inspire deSainte Cécile avec nef à 4 travées et chapelles aménagéesdans les contreforts intérieurs.
Épilogue :
Cette histoire sur une période de 24 ans, illustre les conflitsentre le Pape, les clercs et le roi pour le pouvoir dansl’église au XVème siècle. Elle marque aussi l’antagonismede la petite aristocratie locale et de la noblesse « d’Etat » àla fin du Moyen Age.
Cette victoire de la noblesse locale ne se renouvellera pasensuite, car l’évêché d’Albi demeurera constammentréservé aux membres des grandes familles de la cour et lesévêques seront proposés au Pape par le Roi. Les albigeoisdevront désormais se soumettre à leur seigneur-évêquedont le siège est parmi les plus riches du royaume. (la dîme du safran et du pastel va amplifier la richesse de l’évêché àpartir de 1465).Le conflit armé qui opposa les deux prélats pour le siègeépiscopal d’Albi conduisit au manque d’entretien de l’évêchéet Mgr JOUFFROY, successeur, fit démolir l’anciennecathédrale romane Sainte-Cécile à l’intérieur de la Berbie.L’existence de l’ancienne cathédrale et de son cloître s’estprolongée à travers tout le 14e Siècle. Vers 1400, l’évêqueDominique de Florence prononce la fusion de la personnalitédes deux cathédrales.Dans les années 1434-1437, la ruine de cet ensemble pré-gothique est provoquée par les routiers à la solde des deuxévêques concurrents et ennemis. Bernard de Casilhac serend maître du cloître et deux églises alors que RobertDauphin accapare le palais de la Berbie.Cette situation entrainera l’abandon de la vieille cathédrale,d’autant que la nouvelle est terminée et que la crise desrevenus ecclésiastiques nuit au relèvement de l’anciennecathédrale. Ce qui demeurait après cet évènement estapparemment rasé à l’époque de la Ligue et au moment oùest établie dans ce secteur une plateforme avec des piècesd’artillerie.
Rodrigue de VILLANDRANDO dans la vallée du Viaur:
Admis vers 1410, en France, dans la compagnie de Amauryde Séverac, il se fit lui-même capitaine des routiers,véritables mercenaires à la solde de sénéchaux, depuissants seigneurs ou puissants évêques.
La guerre de Cent Ans, marquée à l’origine par de gravesrevers des troupes françaises cède peu à peu à une guerred’usure. Les finances du Royaume ne permettent plus depayer la solde des armées et les troupes se disloquent enformant des bandes sans foi ni loi qui mettent les territoiresqu’ils traversent au pillage.
Ces bandes sont un véritable ramassis d’apatridesEspagnols, Allemands, Flamands, Gallois, Italiens, Gascons et Français qui vont semer la terreur dans tout le paysdurant près d’un siècle. A la mort de son protecteur en1427, il accrut ses forces et se mit au service de CharlesVII. On trouve un de ses campements au château deLescure près d’Albi.
En 1433, disposant de 10 000 hommes il est à l’apogée desa puissance. Sa bande est constituée de mercenaires, enguenilles, sans scrupules, sanguinaires, violeurs et noceurs,attirés par la jouissance et l’appât du gain.
En 1433 il s’empare du château de Lagarde Viaur qu’ilrestitue après le payement d’une forte rançon.
En 1436 il investit celui de Montirat occupé par le seigneurde BAR et après avoir détruit le château se dirige vers celuide Roumégous qu’il va assiéger. Remontant le Viaur ilprend le château de Thuriès puis s’empare de la résidenced’été des évêques de Rodez à Salles-Curan.

Rodrigue de Villandrando, sans foi ni loi, terminera sa sinistre épopée le long du Viaur au village de La Clau aux sources de la rivière.

Que s’est-il passé en Europe à cette époque :
Les Anglais occupent le QUERCY jusqu’en 1444 ce quiexplique la présence des CAZILLAC à NOAILLES comme desCESSAC à MILHARS ainsi que la présence des bandes deroutiers jusqu’en 1439.Fin de la guerre de cent ans en juillet 1453.
BRUGES en FLANDRE est en 1434 un port et un centreéconomique, politique, artistique, intellectuel reconnu danstoute l’Europe.
Le développement de la bourgeoisie et de l’espritmarchand annonce l’ère de l’humanisme qui affranchira enpartie l’homme de sa crainte de Dieu. Dans les sciences, la Raison et l’arithmétique s’opposent à présent au dogmereligieux et aux croyances comme en témoigne la création des premières horloges mécaniques.
Suite au concile de Bâle en 1434 et à une assemblée destrois ordres tenue à Bourges en 1438, une ordonnance de Charles VII rétablit l’élection des évêques et abolit les réserves du pape. Le roi reconnaît la supériorité des conciles généraux au-dessus du pape. (Cette disposition sera reprise en 1790 par les révolutionnaires qui établiront une constitution civile du clergé.
Entre temps un concordat entre le pape Léon X et François Ien 1516 redonnera au roi la nomination des évêques du royaume, et au pape le droit de prévention. ).
En 1439 Charles VII instaura une armée royale pour la sécurité de la France en mettant fin aux compagnies deroutiers à la solde des comtes, des évêques, des sénéchaux ou intendants.
En 1450 Gutemberg découvre l’imprimerie et la Bible sera imprimée.
En 1462, le successeur de CAZILLAC, le cardinal Jean JOUFFROY rapportera de ROME les reliques de SainteCECILE. Il fera installer une première imprimerie à Albi.
Cette époque voit le début du développement de la culture du pastel qui va connaître le succès que l’on connaît au début du XVIème siècle.
Ref : Viaur secret de Michel LOMBARD – Le mystère de la pierre gravée.
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Topographie funéraire de la cathédrale Sainte Cécile – Céline
Vanacker et Matthieu Desachy – Foi Art et Culture en pays tarnais –
Presse du Centre universitaire Champollion – 2009
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J. QUICHERAT – Rodrigue de VILLANDRANDO
Jean-Paul MARION
Avril 2013