Souvenirs d’enfance… De Jacqueline Salvat, Germaine Ardourel, Jacky Jouve
En ce début de XXI ème siècle nos enfants n’ont pas souvent l’occasion de voir leurs parents sur leur lieu de travail. De toutes les façons, leurs emplois du temps d’enfants sont remplis par l’ordinateur, la télévision, des activités extra scolaires bien encadrées: les parents s’efforcent de les soustraire aux dangers de la rue.
Il en était bien autrement autrefois, du temps où le cœur de Cordes battait au rythme de nombreuses entreprises artisanales ou industrielles qui s’exerçaient au vu et au su de tout le monde. Les enfants étaient libres et leurs activités très variées.
Jacqueline Salvat, Germaine Ardourel et Jacky Jouves’en souviennent…
Un jour, c’était le ramassage de marrons qu’ils essayaient de vendre à un propriétaire de cochons, un autre la capture de petits poissons dans l’Aurosse… Le centre d’attraction se situait tout de même vers la Bouteillerie. Dans les années 30, Gabriel Audoui y avait crée une bonneterie, dans un immeuble où se trouve à présent le magasin « Brin de Nature »; là travaillaient jusqu’à 20 personnes, des femmes, à part le contremaître et le mécanicien.
Après l’école, les enfants pouvaient observer la fabrication de A à Z; ils récupéraient les canelous (l’intérieur des bobines de fil) pour jouer. Au rez de chaussée, côté nord, le fil était mis sur les bobines, travail effectué par un homme; côté sud se trouvaient les machines (mécaniques) à tricoter les chaussettes. Il y en eut de 8 à 10. Les ouvriers travaillaient debout. Il y avait en plus deux machines à remailler servant à faire la diminution pour faire le talon, la pointe et le bout de la chaussette.
Au deuxième étage, on effectuait les finitions; les ravaudeuses arrêtaient la maille filée, travail minutieux qui, bien fait, était imperceptible. Les repasseuses mettaient les chaussettes sur cinq formes chaudes à la suite, de tailles différentes. Il y avait après la couture de deux points de chaque côté de la jambe, un point au talon et un autre à la pointe, la mise en paires puis en douzaines.
Au premier étage se préparaient les expéditions; les cartons étaient expédiés par train de Vindrac à Marseille, par bateau ensuite en Algérie, qui constituait le client privilégié de Mr Audoui. Un contremaître mécanicien, Esther Fabre, qui fut remplacé plus tard par Kléber Perié, encadrait tout ce travail. Les enfants pouvaient rester à condition de rester tranquilles. (l’atelier ferma en 1962).
Tout près de là, le célèbre Pugnarette ferrait les chevaux (à la place de la boucherie Denis) et Francoretto, le charron, fabriquait des roues.
En face, c’était le Poids Public qui attirait l’attention. On y voyait passer beaucoup de monde : Monsieur Cazes avec son charbon ou des matériaux, Monsieur Noël Richard de Vaour avec du bois pour le chauffage ou le charbon de bois. Sur le côté, il y avait la cage pour peser les porcs. Il fallait faire la tare tous les jours. Mademoiselle Simone Comte était l’employée municipale qui gérait cette activité et notait tout pour faire payer les taxes, elle était souvent dérangée en dehors des horaires officiels; Jacqueline était souvent mise à contribution, tout comme à la poste où s’exerçait l’autre activité de sa cousine.
Celle-ci demandait les communications à Albi, s’occupait du courrier, des mandats et des télégrammes. Jacqueline se faisait toute petite et avait le droit de tamponner et de peser !On pouvait rencontrer le docteur Orliac, surnommé Raminiou, omnipraticien dévoué qui avait été emporté par un sanglier montant de l’Aurosse par la Peyrade.
En montant dans la cité on pouvait voir travailler le père de Renée Claire qui était coiffeur, barbier perruquier (et même braconnier émérite du Cérou à ses heures), Paul Jouve qui, malgré une blessure de guerre, fabriquait des violons, élevaient des pies et faisait des omelettes de leurs œufs après les avoir dénichés, son frère Edouard qui faisait sabots et galoches.
Les grands élèves étaient incités à aller s’instruire sur l’administration de la justice que rendait le juge de paix dans une salle de l’ancienne mairie. Ils pouvaient, par exemple, y entendre condamner Laussou Massoutier pour une histoire de mur (lequel Massoutier, facteur et assureur de son état, avait coutume de ne pas s’arrêter dans les maisons où les verres n’étaient pas bien lavés), ou bien Marius Fabre dit « le pantin » qui faisait procès de tout.
Il y avait aussi la mémoire du travail qui rythmait la vie familiale puisque des métiers à broder étaient installés à domicile (55 métiers recensés à Cordes, 2 parfois par maison !). Germaine Ardourel, née à l’Acampadou puis, ayant habité au-dessus de l’Horloge, raconte: »En 1930, ma mère travaillait chez M. Hébrard, elle y était enfileuse et découpeuse; après sa journée de travail, elle passait ses soirées à recouper les bandes de broderie, à évider les parties qui devaient l’être; mon père lui ayant fabriqué un poste à galène, elle travaillait à la veillée en écoutant de la musique.
L’entreprise Gorsse, elle, ne donnait pas de travail à domicile. Des échantillons de tous les modèles sont possédés par les anciens propriétaires de métiers.
En haut de Cordes, on pouvait voir René Ichard, ancien maire et conseiller général, dans son atelier de broderie (maison d’édition Laroque actuellement), par beau temps on sortait le grand-père très âgé devant la porte .
Le contremaître Marcel Vergnes fut secrétaire de mairie et créateur de broderie. Contremaîtresse également, Laurencie Comte , grand-tante de Jacqueline . En 1956, Abel Langlet * brodait encore des crocodiles Lacoste sur le métier St Gall. Henri Reifler, d’origine suisse, était mécanicien des métiers sur Cordes, son père ayant apporté le savoir-faire de son pays.
En tout lieu de la cité, la jeunesse de Cordes de l’époque pouvait satisfaire sa curiosité. Il arriva aussi à Jacqueline d’admirer Yves Brayer, en face de la chapelle des Trinitaires où il avait installé son chevalet. Il y peignait la maison d’ Augusta. Il demandait au père de Germaine de lui fabriquer des encadrements pour ses œuvres. L’artiste prenait le pas sur l’artisan, c’était l’aube d’une nouvelle époque pour Cordes.
* voir sa photo dans » Petits échos d’une belle histoire » de Claire Targuebaire édité en 2005 par les Amis de Cordes et du Comtat Cordais