A la découverte des couteaux de Cordes

Article paru dans la Revue 2020 sous la signature de Nicole de Farguettes

La Coutellerie (vient du latin «cuiter » désignant le coutre d’une charrue).

Les premiers couteaux faits de pierre, silex ou obsidienne, notamment sous forme d’éclats bruts sont datés d’il y a environ 25.000 ans. L’homme recherche du galet cassé dont les proportions s’adaptent à sa main; mais la cassure s’émoussant petit à petit, l’homme a l’idée de retailler et de créer ainsi une nouvelle cassure sur l’autre face du galet. A cette époque ce couteau sert tout aussi bien d’outil que d’arme. (1)
Dès l’âge de bronze (1800 avant J-C) les couteaux sont faits en métal et pour la première fois munis d’une poignée en bois, corne, ivoire, andouiller ou os. Enfin vers l’an 1000 avant Jésus Christ apparaît le fer.
Les Romains des 2ème 3ème siècles diversifient les couteaux en fonction de leur utilisation et créent les couteaux pliants, et la coutellerie devient un secteur artisanal et une corporation s’ébauche.
Aux 5ème et 6ème siècles, période riche d’évolutions techniques, sont mises au point les premières lames en acier feuilleté dit de Damas (assemblage par superposition, soudure et forge d’acier très peu carboné avec un acier fortement carboné pour obtenir un acier gardant souplesse, facilité d’affutage tout en acquérant beaucoup de dureté. Les couteaux sont alors munis de garde, et apparait le « fusil » d’affûtage.
Tout au long des siècles précédents le terme «couteau » était général, sans rapport avec un emploi particulier et ce n’est qu’au 11ème siècle que l’on trouve la notion de «couteau de table».
(Dans l’antiquité ces couteaux sont fréquemment utilisés en tant que fourchettes, et ce n’est qu’au XIVème siècle qu’ils prennent un bout arrondi pour les différencier de la fourchette. Les fourchettes actuelles seraient apparues sous l’Empire Byzantin, introduites en Italie au milieu du XIème siècle, puis en France seulement en 1574 à la Cour de Marie de Médicis). (2)
Au 13ème siècle le «couteau de table» se diversifie selon son utilisation précise au cours des besoins de la table. La profession de coutelier s’épanouit et le poinçon de fabrique devient une pratique courante.
Les siècles suivants n’apportent guère de changement important.
Au 18ème siècle et au début du 19ème la révolution industrielle contribue à l’essor de la coutellerie « moderne ». En 1856 le procédé Bessemer (affinage de la fonte brute afin de fabriquer de l’acier peu couteux) et son amélioration faite par Thomas et Gilchrist permettent la généralisation par la perfection en masse de la qualité de l’acier.
A la seconde moitié du 19ème siècle Dmitri Tchernov établit le binaire de l’acier: Fer/Carbone (soit une teneur de carbone de 0,050% à 2,1%) et découvre les transformations c’est-à-dire les divers degrés de chauffe de l’acier soit pour corriger sa structure (900°) soit en vue d’une trempe ( 600 à 700°) ou 200° pour le « revenu ».

L’acier utilisé pour la coutellerie doit avoir une teneur de carbone minimum de 0,6 % et maximum de 1,3%, cette composition permet : une conservation du tranchant, une robustesse, une résistance à la corrosion, une facilité d’aiguisage (trop de carbone provoquerait une intensité d’oxydation). (3)

Coutelier-forgeron

La fabrication d’un couteau.
En un premier temps la lame, en dix étapes :

  • la création d’un méplat de la section la plus large du couteau et de la longueur de la lame et de la « soie » (partie permettant la fixation dans le manche)
  • la mise en forme de la lame (affinage de la pointe et création du tranchant)
  • le recuit qui consiste à chauffer l’acier à 900° pour réduire la dureté et faciliter le travail
  • l’émouture qui affine le travail par abrasion
  • la normalisation c’est-à-dire chauffer l’acier à 700°, puis laisser refroidir et renouveler deux fois
  • la trempe : chauffer délicatement, environ à 600°, puis refroidir subitement par immersion dans l’eau ou l’huile, ce qui donne à l’acier une structure très dure (la martensité)
  • le revenu : est une chauffe à 200°-240°, diminuant la dureté de l’acier et augmentant sa solidité; le rapport dureté/solidité donne plus d’élasticité
  • l’émeulage, fait sur des meules par un enduit d’eau et de suif, donne à la lame son tranchant
  • le polissage est le travail de la surface par des abrasifs de plus en plus fins afin de donner à la lame un aspect net et brillant
  • l’affûtage. (4)
    En un second temps la fabrication du manche qui peut être de différents matériaux (coutelier créateur)
    Puis enfin l’ajustage : étape qui consiste à assembler la lame et le manche
    (pour les couteaux droits la «soie», en forme de pointe, est de section carrée ou plate et séparée de la lame par un rebord ou mitre. Elle est légèrement chauffée, le manche, lui, est percé d’un trou rempli d’un ciment en poudre composé de cire et de poix ; pour les couteaux pliants les lames sont sans queue mais possèdent un renflement appelé «talon» percé d’un trou dans lequel se fixe un axe servant de pivot à la lame. Ce talon arrondi suivant une des tranches et s’appuie sur un ressort». (5) (6)

Le minerai de fer
Le Tarn fut une région riche en minerai de fer comme le relate les recherches faites ces dix dernières années par Marie-France Coustures et le centre archéologique des Pays Albigeois.
Outre les gisements de la Tenézole (Lacaune), de Montredon-Labessonnié (Réalmont), Crespin et le « Trou des Anglais » à Ambialet, il faut noter le secteur de la Grésigne mais essentiellement sur le causse (Penne – Puycelsi), aucun autre gisement ou exploitation de fer ne semblant apparaitre en d’autres sites de la forêt.
Cette richesse fit que notre département avec ses cinq couteaux reconnus (Le Saint-Amans, le Maïs, le Bonnet famille de Saint-Amans destiné aux muletiers, l’Albigeois et le Gaillacois) fut le département présentant le plus de couteaux régionaux.


-Les gisements de Grésigne :
« La Barrière » ou « Janade » mine à ciel ouvert, à Puycelsi
La concession minière attribuée en 1796 à Jean-Baptiste Garrigou, à Penne et qui subsistera jusqu’en 1875.

  • Les forges et hauts fourneaux:
    à Bruniquel « Les Forges de Courbeval » (l’une des premières forges) fondées par le dit Jean-Baptiste Garrigou vers 1807, mais ce site jugé trop onéreux est abandonné en 1820 au profit d’une installation en bordure de l’Aveyron à Caussanus et les hauts fourneaux de « Forêt de Grésigne », et Vaour.
    Malgré la proximité de ces gisements et hauts fourneaux ainsi que de l’aciérie du « Saut du Tarn » nous n’avons, hélas, trouvés aucun renseignement sur la provenance exacte de l’acier utilisé dans la confection des couteaux ci-dessous mentionnés.

Le couteau albigeois
Il est créé au XIXème siècle par la maison Cabaziès reprise par la maison Salvy. Cette fabrication, abandonnée depuis 1880, est aujourd’hui remise à l’honneur par Christine Guy de « La coutellerie du Marché » à Albi en étroite collaboration avec Jean-Claude Marc artisan forgeron à Graulhet œuvrant selon la méthode ancestrale et fabricant parfois lui-même ses propres outils.

Le couteau gaillacois
A Gaillac et à Cordes est produit entre la fin la fin du XVIIIème et la fin du XIXème ce couteau à la forme si particulière qu’il pourrait être attribué à une époque plus ancienne.
Il se présente avec une « lame à la turque » assez épaisse ; le dos de la lame est tendue par une longue courbe avant de se poursuivre par une finale et une très courte entablure. Le manche est plat et très mince se terminant en cul par une arrête vive verticale.
Il peut, parfois être muni d’un tire-bouchon comme chez le coutelier Blatgé à Gaillac et le cul est arrondi, alors que chez le coutelier Boyer (à Cordes) il reste droit comme sur le modèle « une pièce » servant tout aussi bien à table qu’au travail dans les vignes.
Sa fabrication, jamais reprise à Thiers, s’est limitée au gaillacois dont particulièrement aux ateliers Louis -Pierre Druille qui reprit la marque « XVIIIème et début XIXème puis, jusqu’en 1884, par son gendre François Blatgé qui reprit la marque « Au grattoir » et ajouta son nom sur la lame. (8)

A Cordes la fabrication de ce couteau fut assurée par Baptiste Delsol, « coutelier » rue de la Place, auquel succéda vers 1840 Jean-Baptiste Boyer neveu de Baptiste Boyer « coutelier » avant la Révolution, (8) et la famille Cazes.

Les Cazes, dont les couteaux sont ici principalement représentés, sont mentionnés dans les actes d’état civil de Cordes sur quatre générations.
– Jean né en 1807 à Villefranche de Rouergue, issu d’une famille de cultivateurs, « garçon coutelier » (certainement chez Delsol) habitant Cordes épouse en 1830 Rose Jean née à Cordes fille de charron ; puis en 1831 cité comme « ouvrier coutelier ».
– Alexis né en 1831 à Cordes et y demeurant, fils du précédent, cité « coutelier » en 1853 lors de son mariage à Cordes avec Marie-Claudine Molinier né à Monestié

  • Augustin, né en 1856 à Cordes et y demeurant, fils du précédent épouse en 1886 Magdeleine Françoise Frespuech née à Saint Martin-Laguépie, décédé en 1913 rue de la Bouteillerie.
    Fin de la lignée car les deux enfants issus de cette union furent un garçon Armand né et décédé en 1887 rue de la Bouteillerie
    et Julienne née en 1889, institutrice à Roussayrolle (commune de Vaour) épouse Paul Raymond Fabre instituteur adjoint à Salles sur Aude.
    A ces deux familles, dont nous vous présentons quelques couteaux, nous nous devons de citer des noms recueillis dans les actes d’Etat civil faisant mention de la profession de coutelier, étaient-ils maîtres ou employés ?
    -Pierre Rossignol «garçon coutelier» en 1834, fils de tisserand, né et demeurant à Cordes.
    -Léopold Groëminger, «coutelier» en 1895, fils de Jean Groëminger (gendarme) et de Marguerite Daudibertière née à Cordes (des descendantes de cette famille Daudibertière habitaient encore à Cordes, au Planol- actuelle maison Bakea- dans la deuxième moitié du XXème siècle).
    -Jules Raynal, «coutelier» en 1898 né et demeurant à Les Cabannes.
    -Raoul Orliac, « coutelier »1910, né et demeurant à Cordes.
    Les ans sont passés, la coutellerie demeure encore en notre environnement cordais grâce à de jeunes « artistes » :
    Alex Deltour « Les couteaux d’Alex » à Cordes (coutelier créateur)
    Milan Gravier « Le marteau et l’enclume à Milhars (coutelier-forgeron)
    Jérôme Couet « Lou Coutel »à Albi (coutelier-forgeron)
    Sébastien Soulier « La forge du petit soulier » à Graulhet (coutelier-forgeron)
    Bruno Duffort à Penne (coutelier-forgeron)
    Christian Moretti à Roumégoux
    Et à noter le « Salon du Couteau » à Najac en Octobre.

Nous remercions Elisabeth et Jean-Luc Courtet qui nous ont permis de découvrir et d’admirer les couteaux Cazes, Jean-Louis Meunier, brocanteur, pour les couteaux Boyer, madame Guy de « La coutellerie du marché » à Albi, ainsi que Jean-Louis Pradal, discret archiviste local, pour les recherches d’Etat civil.
Si certains d’entre vous possèdent quelques éléments complémentaires ou objets nous les remercions par avance de nous en faire part.