Le moulin de PEYRE

Le moulin à eau et à feu de PEYRE

Par Maurice Diéval, avec le concours de Jean-Louis Pradal

Le moulin de PEYRE, appelé aussi moulin bas de M. de CLARY, est porté au compoix de 1545 de la ville de Cordes, ainsi que le moulin haut (appelé aussi moulin de Cumminges) noté en 1602.
Les deux sont situés à la suite sur le ruisseau d’Aurosse, qui coule au bas de la cité et se jette dans le Cérou dans le village de Les Cabanes. Ils avaient été achetés au XVIIIème siècle par la famille de CLARY.
Ils servaient à moudre le blé, le pastel et la garance. Ces deux moulins (ainsi que les 6 autres sur l’Aurosse) fonctionnaient à eau. Le moulin de PEYRE possède deux meules.
Jeanne Elisabeth de CLARY épouse François Gabriel de SOLAGES en 1772 et lui apporte les moulins ; après une première mutation en 1815 (Guillaume de SOLAGES), une descendante revend le moulin de PEYRE en 1823 à Antoine BOUYSSOU, cadastré B2 353.
L’histoire des moulins témoigne d’ une évolution mécanique dans le temps : depuis l’Antiquité jusqu’ au début de la révolution industrielle, la nature de la force de travail du moulin évolue peu : l’énergie est
fournie par les hommes (moulins à bras) et les animaux (moulins à sang), puis par les rivières qu’il faut aménager (moulins à eau), par les collines (moulins à vent) puis par la vapeur au XIXème (moulin à feu) et
au début du XXème siècle par le pétrole (moteur diésel) et enfin l’électricité, quand le réseau électrique se développe dans les campagnes.
Sur le Cérou et l’Aurosse, les archives de Cordes/ Les Cabannes montrent que les modes d’énergie utilisée par les meuniers pour faire tourner leurs roues ont été l’eau, les animaux, le charbon et
l’électricité. Un moulin à vent a existé à Cazelles.
Au milieu du XIXème donc, le principe de la machine à vapeur comme source d’énergie dans l’industrie et les transports s’affirme et commence à bien s’établir (la première machine à vapeur apparaît
dans les mines de Carmaux en 1811).

A noter qu’en période de basses eaux (le débit est insuffisant pour actionner les meules) ou de fortes crues (disparition de la chute produite par la chaussée) ou de gel, les meuniers du Cordais avaient
recours à la traction animale ou faisaient moudre leur blé à Laguépie, l’Aveyron étant une rivière plus importante ; cela nécessitait donc des déplacements, une perte de temps et une rentabilité moindre.
La famille BOUYSSOU, propriétaire du moulin de Peyre, a misé sur la proximité des mines de Carmaux pour actionner son moulin.

Emile BOUYSSOU, descendant de cette famille, nous raconte, en octobre 2015 :
« Pour compenser les périodes de non fonctionnement du moulin due aux basses eaux de l’Aurosse en été et périodes sèches, l’acquisition d’une machine à vapeur d’occasion fut faite à Lincarque ; c’est la même machine que celle installée à Lexos, au moulin de Campa.

(*) La cheminée, existante encore actuellement, a été construite début des années 1900 ; elle mesure une quinzaine de mètres de hauteur. La machine fonctionnait à la poudrette de charbon des mines de Carmaux : la charrette emmenait les sacs de farine et rapportait la poudrette au retour. Cette production était contrôlée pour éviter les trafics de farine, et les gendarmes de Monestiès étaient particulièrement sévères ! Il existait également un « farinier de l’octroi » à Cordes, chargé de lever les taxes sur les différents types de farine. Pour être utilisée, cette machine était contrôlée et poinçonnée chaque année, le système de soupape régulant la pression de vapeur. () A la déclaration de guerre en 1914, les hommes étant partis au front, la machine n’a plus fonctionné ; elle est restée jusqu’en 1918 sans entretien, et n’a pas été remise en service. Elle est restée en l’état jusqu’à ce qu’elle soit vendue à la ferraille à CARLUS, marchand de machines agricoles. »

(**) Il s’agit vraisemblablement d’une Piguet-Dujardin, ou Farcot-Corliss, les plus répandues à l’époque.


(
***) Des accidents graves étaient en effet survenus dans les usines, raison pour laquelle le manomètre était de grande dimension, permettant
de lire la pression de loin, même du bureau du contremaître, par un jeu de miroirs

Deux types de machines à vapeur les plus répandues:
-Piguet /Cie Dujardin (française)
Farcot-Corliss (américaine)


Elles comportaient un régulateur à boules et un volant de 3 mètres de diamètre, qui pouvait donner une rotation de 90 tours/minute pour une puissance de 100 CV

L’énergie fournie par la vapeur, les étapes :

1er siècle avant JC : l’Eolipyle de Héron d’Alexandre montre le phénomène de la vapeur d’eau

1630 : Thomas SAVERY dépose le brevet d’une pompe à vapeur

1679 : Denis Papin invente le piston de la machine à vapeur

1769 : machine de Watt construite en Angleterre

1770 : le fardier de Cugnot
Le principe : la chaudière produit la chaleur qui vaporise l’eau. La vapeur d’eau ainsi produite, par dilatation, pousse le piston de la machine à vapeur, qui, relié à un volant, transmet le mouvement aux machines à actionner par des courroies ou des engrenages.
Les premières utilisations des machines à vapeur : pomper l’eau dans les puits de mine, ensuite diffusion rapide d’abord en Angleterre, dans la métallurgie, les filatures, les usines textiles, les transports, la meunerie, malgré de fortes résistance du monde ouvrier, ayant donné lieu à des manifestations violentes.
En France, à la Révolution, les brevets des nouveaux moulins à feu (à vapeur) pour moudre le blé :

brevet de 12 années accordé le 18 avril 1789 aux sieurs DEVISMES, de Harfleur, et PERRIER, de Paris

brevet d’invention n° 74, pris le 1er février an XIV (22 novembre 1805) par MENAULT à Paris (1

La cheminée

Les fondations : Au 19ème siècle, elles sont en pierres puis en béton.
Le socle : Il conditionne la bonne stabilité de l’édifice et doit faire 1/5e à 1/6e de la hauteur totale de la cheminée.
L’épaisseur : Elle est importante à la base pour résister aux gaz les plus chauds et augmenter la stabilité de la construction. Elle diminue par palier, soit une brique en moins tous les cinq ou six
mètres.
Les cerclages métalliques : Ils sont placés tous les 3 à 4 mètres et servent à compenser les effets de la dilatation.
Le diamètre : Il diminue de bas en haut pour maintenir le tirage car en montant la température des gaz diminue ce qui entraîne une réduction de leur volume.
La brique : Elle résiste mieux à la chaleur que la pierre et constitue un bon isolant contre un refroidissement trop rapide de l’air sortant (ce qui ferait chuter le tirage).
Le vent : Sous l’effet du vent, une cheminée est animée de vibrations au sommet. C’est pourquoi elle doit avoir ses propres fondations
La fumée : provient de la combustion du charbon (Co², Co, H²o…).
Etant plus chaude donc plus légère que l’air ambiant (+ de 100° C), elle s’élève d’office.
La cheminée : Son diamètre influence le débit de la fumée. Plus la machine à vapeur est puissante, plus il faut de charbon, plus la section doit être importante (1 m² de section correspond à 400/500
kg de charbon par heure).
La hauteur : La hauteur de la cheminée influence sur le tirage (chiffré par la dépression à la base de la cheminée : 20 à 100 mm d’eau). Mais le tirage et le débit ne sont pas indépendants et le
tirage augmente avec le débit.
Le carneau : C’est le conduit qui relie la chaudière à la cheminée et qui peut parfois atteindre plusieurs mètres.

La cheminée du moulin à feu de Peyre

Schéma du moulin à feu d’Emile BOUYSSOU (représentation d’après la description qu’il nous en a faite)

La chaudière est placée à la base de la cheminée, la vapeur produite est ensuite acheminée à la machine à vapeur. Le volant, par l’intermédiaire d’une courroie qui traverse toute la pièce, actionne près des meules une roue verticale qui, par le jeu d’un engrenage, transforme le mouvement de rotation dans le plan vertical en un mouvement dans le plan horizontal. Ce mouvement, à l’aide d’un second engrenage fixé sur l’axe vertical de la meule, actionne celle-ci.
Cet engrenage, en s’actionnant sur l’axe de la meule, peut s’embrayer et se débrayer, selon que le meunier décide d’utiliser l’eau ou le feu.
S’il utilise l’eau, il remonte la roue dentée intermédiaire pour libérer l’engrenage, et ouvre la vanne extérieure qui conduit l’eau du bief dans la chambre d’eau où se trouve le rouet ou roudet, qui se met à tourner et actionne la meule supérieure « mouvante »
S’il utilise le feu, il ferme la vanne d’eau du bief, descend la roue dentée intermédiaire pour engager l’engrenage, allume la chaudière et ensuite met en marche la machine à vapeur.
La consommation de houille, pour une machine de 12 CV qui entraîne une seule paire de meules à pleine charge est donnée pour 1500Kgs par jour. (2)

les deux meules et la potence servant à les lever

Un moulin comportait très souvent deux meules ; pendant que l’une fonctionnait, l’autre était retirée à l’aide de la potence, et déposée pour être repiquée au marteau de façon à recréer les dentures permettant d’écraser les grains. D’où son usure. Cette contrainte sera levée avec l’arrivée des cylindres en céramique et fonte.

Ce que pouvait être l’installation du moulin à feu et à eau …

Le moulin de Peyre livrait sa farine à Carmaux, à la Boulangerie Coopérative des Ouvriers Mineurs, créée en 1872. Capital social de vingt et un mille et cent francs, divisé en 211 actions de 100F chacune.
« Cette société a pour objet l’exploitation d’une boulangerie établie à Carmaux par les soins et aux frais de la Société des Mines, à laquelle appartient la pétrisseuse à vapeur, le matériel et outillage.
Cette boulangerie est destinée à fournir aux ouvriers, employés et fonctionnaires de ladite Société des Mines, et à leurs familles, un pain de bonne qualité et de poids sincère, et à faire profiter en même temps les sociétaires et les consommateurs du bénéfice de la fabrication. ART 2 des statuts »

La sécurité dans la conduite d’une machine à vapeur (2)


Les ordonnances de 1820, émanant du service des Ponts et Chaussées et Mines, avaient identifié les causes principales des accidents pouvant survenir : l’excès de tension de vapeur dans la chaudière, qui explosait, et le défaut d’alimentation en eau de la chaudière. Elles imposèrent des règles de sécurité aux
utilisateurs : toutes les chaudières devaient subir une mise à l’épreuve avant utilisation. Il était indispensable que le local de la machine soit bien fermé, et que seul l’ouvrier-chauffeur soit présent.
Le contrôle du fonctionnement du manomètre et de son étalonnage étaient impératif (raison pour laquelle la machine de la famille BOUYSSOU n’avait pas été remise en service).
Des recommandations étaient données, parmi lesquelles : « on examinera dans les premiers jours de
travail si le feu est vif, et si l’on est obligé de modérer au moyen du registre pour régler la machine sous sa charge ordinaire afin de se ménager de la ressource, quand les carneaux commencent à contenir de la suie… il faut s’assurer que le machine ne fait aucun bruit, ne donne aucune secousse… que les pièces fixes
n’éprouvent aucun ébranlement… que la pompe à puits fournit plus d’eau qu’il est nécessaire pour les service de la machine chargée. »

Sources :
(1) Description des machines et procédés d’invention consignés dans les brevets d’invention. GJ CHRISTIAN – CP MOLARD. Paris 1843 (p.190 et 212)
(2) Guide du chauffeur et du propriétaire de machines à vapeur. GROUVELLE et JAUNE Librairie de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures – PARIS 1830
(3) Mémoire sur les moulins à blé mus par des machines à feu.Q145 GALLICA-BNF. 1789 Imprimerie du Postillon.
Cartes postales de 1909 : collection Jean-Louis Pradal