L’association existe depuis 1954, son objet est :
« promouvoir des actions culturelles visant à développer le rayonnement de la ville de Cordes »
Ses buts:
– faire rayonner la cité de Cordes-sur-Ciel
– rassembler les Amis de la cité et de ses environs (le comtat)
– réunir dans des comités locaux, en région, les amis de Cordes, adhérents ou non
– rechercher, faire éditer et diffuser au public des articles évoquant les personnages, évènements, activités, littérature, arts et histoire de Cordes et du Comtat Cordais
– réaliser, seule ou en association, des actions de sauvegarde du patrimoine local
Cordes vue par Catherine Barrett
L’itinéraire de Philippe Laville,
soldat de Napoléon 1er, mort à léna
par Maurice Diéval
Philippe Laville et son frère Simon ont tous les deux été soldats de Napoléon 1°. Nous disposons de lettres authentiques écrites par ces soldats à leur famille. (1)
C’est la transcription de fragments des lettres de Philippe que nous proposons dans cet article.
Philippe Laville est né à Cordes le 17 mars 1784. Son père, Martial Antoine Laville est tailleur d’habits à Cordes, sa mère est Jeanne Lapisse (voir annexe). Recruté en 1805, il participera aux batailles d’Austerlitz et de léna où il sera tué. Il écrira 4 lettres.
Le recrutement de Philippe : les soldats de la Grande Armée
Il est recruté par le système de la conscription, à partir de ses 20 ans, sur la liste cantonale, par tirage au sort. Comme tous les jeunes de 20 à 25 ans, il doit payer « l’impôt du sang » pendant 5 ans. || est âgé de 21 ans et n’est pas assez fortuné pour acheter un remplaçant, d’autant que son frère est déjà soldat. Il est arrivé en garnison à Evreux (Eure) en juin 1805. || est chasseur au 10° régiment de chasseurs à pieds, 3ème bataillon. (2)
Première lettre : Il écrit cette première lettre le 7 messidor an 13 (26 juin 1805), lettre adressée au gendarme Rahou, gendarme impérial en résidence à Cordes. « … ne soyez pas en peine de moi, je suis dans une bonne compagnie, la meilleure de tout le régiment… nous sommes la moitié du département du Tarn … Je vous dirais que de 45 que nous sommes partis d’Alby, on a déserté 15 auparavant d’arriver. ll y a une loi pour faire de l’an 11 et de l’an 12 ceux qui ne sont pas tombés de sort pour faire tirer, on en demande 20 000 hommes de l’an 11 et l’an 12 et de l’an 13, 15 000 hommes…
« … je vous dirais que tous les jours, les gendarmes, selon les jours, on est mené 18 ou 20 de notre département de Tarn, on en déserte tous les jours et on les arrête en route. »
« … vous faites bien des compliments à toute la famille de Frespiès sans oublier ma bonne amie Roze et toutes mes sœurs, sans oublier toute la famille de Delsol et de Pierre Boyé et mon oncle François Rahou.… »
Deuxième lettre : en date du 29 thermidor an 13 (17 août 1805)
Philippe annonce qu’il est arrivé au camp de Sainte Mer près de Boulogne, après avoir passé 12 jours à l’hôpital d’ Evreux. Il a reçu une lettre de sa bonne amie Roze et il est heureux que sa famille ait fait sa connaissance : « je l’estime beaucoup, je l’ai toujours aimée, sa douceur, son naturel, sa docilité et sa modestie me conviennent beaucoup, quoique je suis éloignée d’elle, je l’aimerai jusqu’à la mort. ». «.… nous ne sommes arrivés que 10 à Boulogne, tous les autres ont déserté en partant d’Evreux.. Martin de Gaillac, Najac de Mouzieys, tous les autres sont du côté de Castres. Nouvialle a déserté avec Catala de Laguépie, je ne sais pas s’ils ont été arrêtés ou s’ils sont arrivés au pays… » (3)
Il est toujours chasseur, affecté au 1°’ bataillon, 4° » compagnie.
« … l’Empereur est arrivé et nous sommes bien tracassés, il fait faire beaucoup de préparation et on ne sait pas véritablement si c’est pour faire la descente en Angleterre, mais on se méfie, tous les jours on attrape des espions anglais et l’on doit les fusiller.. » (4)
« … je vais vous dire que j’ai écris à mon frère dont j’attends la réponse. je finis en vous embrassant de tout mon cœur, bien de compliments à mes sœurs et beau-frère et mon oncle François et sa femme ainsi que la famille de Delsol ainsi que François Delsol et sa femme sans oublier mon oncle Astoul et tous de sa maison ainsi que la mère de Praix et sa fille et à toute la maison de Frespiés et de toute la famille de Pierre Boyé et à tous ceux qui demanderont de mes nouvelles sans oublier le meunier du moulin de la Mothe d’Alby et toute sa famille et toute la famille de Bès d’Alby, je vous prie si mon frère a écrit de me donner son adresse le plus tôt possible. »
Troisième lettre du 26 frimaire an 14 (17 décembre 1805), de Vienne (Autriche)
« … je vous dirai que depuis que nous avons passé le Rhin le 4 vendémiaire, nous avons marché pendant 3 mois sans ôter les souliers des pieds ni le jour ni la nuit, (5) nous avons souffert au dernier degré de la neige et la pluie, on a à se battre avec l’ennemi, car nous sommes attaqués 4 fois, mais l’ennemi n’a rien gagné quand il a beaucoup perdu de monde. L’empereur d’Autriche nous lui avons pris plus de la moitié de ses troupes, prisonniers sans compter les morts… »
« … mais je vous dirais que la dernière bataille que nous venons de donner le 11 frimaire de l’an 14 à Austerlitz, (2 décembre 1805) on était avec l’empereur d’Autriche et le roi de Russie, je vous dirais que nous avons eu une sanglante bataille dont l’ennemi a eu beaucoup de dégâts, dont les morts nageaient dans leur sang, dont on était obligé de se battre avec la baïonnette, on avait point le temps de charger le fusil, dont le feu a duré 3 heures de temps ; après le feu on s’est battu une heure à la baïonnette, dont on ne faisait point de prisonniers ni d’un côté ni de l’autre, jamais personne n’a vu une pareille bataille, si sanglante, la terre était couverte de morts et blessés, quoique nous étions que 60 000 hommes de France contre 150 000 hommes de l’ennemi. Nous avons été les vengeurs, nous leur avons pris à cette bataille d’Austerlitz 40 drapeaux et 100 pièces de canons, ils ont battu en retraite au plus vite car l’ennemi n’avait point le temps de se sauver… »
« … je vous apprends avec joie que nous allons avoir la paix, car l’Empereur nous a dit auparavant que cette bataille commence, il nous a promis que c’était la dernière fois que nous nous battions. Deux jours après les 3 empereurs se sont rassemblés, notre Empereur français avec les deux autres que nous faisions la guerre, ils se sont parlé tous les trois ensemble sur une montagne à 400 pas de nous autres, ce qui nous fait croire qu’il y a quelque arrangement… »
« … Quand nous avons passé Vienne, la ville capitale d’Autriche de 40 lieues de l’autre côté du moment les 3 empereurs se sont parlés, notre empereur a fait retirer toutes ses troupes pour nous mettre en cantonnement et en garnison dans la capitale de l’empereur d’Autriche à Vienne, quoique nous espérons de rentrer bientôt en France si la paix peut être assurée… »
« … vous direz à Madame Praix que son fils se porte bien, Nouvialle se porte bien, aussi Laval est blessé aux deux jambes d’une balle. »
«… mon adresse : Philippe Laville, chasseur d’infanterie légère, 10ème régiment, 1er bataillon, 4ème compagnie première division du 4ème corps d’armée de Marne de Rhin, en garnison à Vienne. »
(Lettre adressée sous le tampon n°3 GRANDE ARMÉE à « Antoine Laville tailleur, propriétaire à Cordes, Cordes département de Tarn. »
Sources :
(1) Archives Robert Bosc : je remercie vivement Anne Bosc pour la remise des archives privées de son père.
(2) désertion : en cas de désertion, les soldats, s’ils sont repris, sont traduits devant un Conseil de Guerre ; les peines encourues sont pour tous une amende de 1 500F et une peine graduée selon les cas :
- peine des travaux publics, militaires ou civils
- peine du boulet : port d’un boulet de 8 livres rivé à une chaine de fer longue de 2,50 mètres, attachée à la taille du condamné, exécution de travaux spéciaux dans les grandes places de guerre pendant 8 heures par jour, le reste du temps enchainement en prison
- peine de mort, l’exécution du condamné par les armes s’effectue immédiatement après le rendu du jugement. Des amnisties existaient pour permettre aux soldats de revenir dans leur corps.
(C. Doucheux-Lefèvre, Revue du Nord, tome 58 n°229 1976)
(3) régiment d’infanterie légère (1796-1815) créé sous la Révolution à partir du régiment de Neustrie, régiment français d’Amiens.
(4) Pour se faire, il rassemble la majorité de son armée de terre, près de 100 000 soldats, autour de Boulogne-sur-Mer, au sein de camps toujours plus nombreux. La capitale de la Côte d’Opale est aussi choisie pour être le point de départ de l’expédition. Pendant plus de deux ans, les soldats se préparent à l’invasion, pratiquant des manœuvres et construisant des navires. L’objectif est de permettre à un maximum de soldats bien entrainés de monter sur un maximum de navires pour espérer marcher sur Londres. En effet, Napoléon, ne sous-estime pas la puissance anglaise qui, avec la France, est l’autre grande puissance européenne de l’époque. (https://patrimoines.pasdecalais.fr/)
(5) « Un épisode marquant eut lieu en 1805, avant la bataille d’Austerlitz : avertie l’après-midi du 29 novembre par l’empereur, l’armée du maréchal Davout se prépara pour parcourir 130 km presque sans repos et arriver au combat le 2 décembre au matin. Rien d’étonnant à ce qu’au terme de ces marches exténuantes les soldats se plaignent d’avoir « les pieds en sang. » (Paroles de grognards. 1792-1815.
{ Lettres inédites de la Grande Armée, de Jérôme Croyet, Gaussen, 2016.)
(6) blessures : « De nombreux blessés meurent des suites de leurs blessures, car les progrès de la médecine ne sont pas assez avancés pour éviter les infections. Sur l’ensemble des campagnes napoléoniennes de 1799 à 1815, on estime les pertes humaines à 900 000 soldats » (https://napoleon.org)
(7) biscayen : boîte à mitraille : un cylindre rempli de balles de plomb ou de fer de la grosseur d’un petit œuf que l’artilleur glissait dans le fût du canon ; destinées aux canons à longue portée utilisés dans les batailles rangées des guerres napoléoniennes.
(voir estampe ci-dessus)
Annexe
Le document ci-dessous est un laissez-passer « pour affaire » délivré à Antoine Laville par le maire de Cordes, le 17 septembre 1806. Il donne une description physique du personnage. Le document est valable pour les départements de l’Aveyron, du Cantal, du Puy-de-Dôme, du Lot et de la Haute-Garonne. Antoine Laville savait écrire et signer.
On notera les deux tampons, l’un à l’effigie de la République et l’autre à l’Empire.