d’après le document de Véronique Gaumont publié en 2013
C’était le début du voyage !
Mais quel voyage ? Il y en a eu plusieurs :
D’abord un voyage personnel, celui d’une harpiste qui venait d’apercevoir dans la lumière de la seconde auréole, celle des rois-musiciens, David le harpiste, le chantre, l’auteur des psaumes, le messager de paix céleste, celui qui était capable de calmer par sa musique, la colère des hommes, celle de Saül. Ce voyage premier a été pour moi, de faire un lien modeste entre ce Roi-musicien et l’instrument qui m’accompagne chaque jour. Comprendre enfin son histoire et savoir qui était ce héros des textes fondateurs qui avait quelques ressemblances avec un autre héros de la mythologie, Orphée.
Ensuite un voyage plus studieux à travers les textes bibliques, l’Ancien et le Nouveau Testament, les textes consacrés à la cité de Cordes, ceux de Charles Portal, d’Alain Manuel, la découverte et la signification de l’instrumentarium médiéval porté par les rois-musiciens, quelques livres passionnants sur les vitraux gothiques et le superbe roman de Bernard Tirtiaux, « Le passeur de lumière ».
Un autre voyage plus ancré dans le réel, celui que j’ai fait cet automne, à Paris pour contempler les vitraux de la Sainte-Chapelle et ceux de Chartres. J’avais besoin de comparer, de ressentir in situ, la puissance de ces chefs-d’œuvre sur moi-même comme je le fais quand je prépare une histoire.
Mon regard a donc été celui d’une conteuse, pétrie de mythes, de légendes et de cosmogonies, et cela a son importance quand on étudie une rose qui est la représentation symbolique du cosmos, de la création. Chaque cosmogonie, on le sait, est une représentation de l’univers, le point de vue d’une civilisation. Et c’est bien de cela qu’il est question dans cette rose, un cercle qui préfigure un univers, situé à l’ouest, lieu du soleil couchant, de la chute du soleil dans les ténèbres, du visible et de l’invisible, lieu consacré au Jugement dernier, à l’Apocalypse , lieu de la montée ou révélation des âmes.
Dans ce voyage, j’ai donc essayé surtout, de voir la rose, dans sa dimension religieuse, historique et symbolique.
Image et magie : au Moyen Age, les artisans avaient compris la magie qui pouvait se dégager de la course de la lumière à travers un vitrail. Les hommes d’église pensaient même qu’elle avait le pouvoir de transformer l’âme. Avec son mouvement d’est en ouest, à l’intérieur de l’espace sacré, la lumière (CHRIST=DIEU>DIES=lumière) était vivante. Pour l’esprit contemporain qui connait le cinéma et j’en ai la preuve avec les enfants de Cordes, la magie de l’image de cette rose opère toujours « toutes ces couleurs avec le soleil, ça résonne ! » On peut s’interroger sur ce mot de « résonner », entendu dans la bouche d’un enfant d’aujourd’hui !
Ré-sonner comme le ferait la gamme des couleurs qui émettrait des sons, des notes, un langage sans parole qui enseignerait quelque chose dans l’espace de l’église, ou…
Rai-sonner, comme un schéma qui serait par sa géométrie, complexe à déchiffrer. Du silence de cette iconographie, un sens caché serait à entendre.
On entrevoit ici, en plus des sensations humaines nécessaires à la réception de toute œuvre d’art, une philosophie du LOGOS, celle qui intégrait la géométrie, les nombres, la matière et la lumière. Mais aussi, la question du lien entre le fini et l’infini, entre le cercle et le carré, l’Alpha et l’Oméga. On entre de plein pied dans le symbolisme élaboré de la religion, des bâtisseurs, des philosophes de la nature…
« Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Empédocle
Pour l’esprit médiéval qui s’éclairait à la lumière des textes anciens comme ceux de Pythagore, Dieu, le cosmos, la nature, étaient soumis à l’examen, au raisonnement de l’homme, à l’explication, à la mesure et pour ce philosophe, tout venait de l’UN, toutes les choses et les êtres venaient de Dieu. (Symbolisé ici, par l’agneau dans notre rose, le centre, point de départ de la religion monothéiste avec l’évocation du sacrifice d’Abraham ). Même la musique avait son raisonnement mathématique avec l’exacorde (six notes) de la musique grégorienne.
Dans les roses gothiques, comme celles de Chartres, ces théories ont fait dogme et celle de Saint-Michel n’y échappa pas bien que bâtie à la fin du Moyen Age, au XVème siècle. La rose devint en quelque sorte l’allégorie de la perfection, de la beauté créée par l’homme en l’honneur de Dieu dans toutes les formes, jusque dans ses plus petites dimensions (Dieu est partout, en toutes choses), jusque dans les petites mosaïques de couleurs de la troisième auréole.
La première auréole, celle des lys est bien-sûr l’évocation de l’élection divine, de l’onction sacrée reçue par David , puis plus tard par les rois de France, celle qui enlève tout péché mortel. C’est aussi l’évocation de la Vierge Marie, élue parmi les femmes d’Israël, symbole de pureté et d’abandon mystique à la grâce de Dieu, étoile entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
La rose de Saint-Michel est puissante, il suffit d’entrer dans l’église pour s’en rendre compte. Même si elle n’est pas dans l’axe du bâtiment, elle nous recentre, tel un mandala, nous oriente dans la nef et face à Saint-Michel, le passeur des âmes, nous interroge sur le devenir de l’humain après sa disparition.
Passage de la vie terrestre à la mort et de la mort à la vie éternelle, la rondeur de la rose nous renvoie au destin, aux cycles perpétuels. L’Apocalypse, (du grec dévoiler, découvrir) évoquée dans cette rose comme dans celle de la Sainte-Chapelle, nous révèle ce qui est voilé, vision entrevue de la Jérusalem céleste par Saint-Jean de Patmos. Une Apocalypse est donc une mise à nu de ce qui est caché sous le voile, ici, en l’occurrence, un vitrail.
A Cordes, cette vision de la Jérusalem céleste est suggérée par la ronde des rois-musiciens, c’est en quelque sorte une vision musicale de cette Jérusalem. A travers le prisme des couleurs qui rappelle les pierres précieuses (jaspe, calcédoine, émeraude, sardoine, chrysolythe, béryl, topaze, chrysoprase, hyacinthe, améthyste…) de la vision de Saint-Jean, cette rose même si elle reste plus modeste que celle des grandes cathédrales est originale par ce choix des instruments à cordes. C’est de plus, la « plus vaste et raffinée de l’Albigeois » d’après Madame Pradalier, historienne.
Car quel est la signification de ces instruments représentés dans cette rose, six instrument à cordes, appelés cordophones ? Rien n’est laissé au hasard, pour ces instruments, chaque représentation est symbolique, porteuse de sens. David, le grand accordeur de l’univers avec son attribut emblématique, la harpe, aux cordes tendues à l’extrême, représente le médiateur entre la Jérusalem terrestre, celle des hommes et la Jérusalem céleste, celle de Dieu, sorte d’intermédiaire entre le ciel et la terre, entre le divin et l’humain. Il est placé en haut et en bas, à droite, tel une colonne du Temple.
On peut imaginer ce que seraient les cris et les tourments de l’âme sur un instrumentarium désaccordé ! Celle d’un âne en train de jouer de la harpe (voir une des sculptures de la cathédrale de Chartres) qui ne maîtriserait pas la tension et le jeu subtil des cordes.
N’oublions pas le psaume 150 qui clôt le psautier :
« Louez Dieu sur le PSALTERIO et la CITHARA (par le psalterium et la harpe) Louez Dieu IN CORDIS » (sur les cordes)
Psaume 71
« Je te rendrai grâce sur ma lyre, en ta vérité, mon Dieu »
Avec ce court article, tout n’est pas dit, nous entrons à peine dans l’évocation « de ce voyage au cœur d’une rose ». Il m’a fait cependant découvrir, en partie, la place de mon instrument dans l’histoire religieuse, certes à travers la représentation d’un vitrail, l’enseignement biblique qu’il suppose, mais surtout, ce voyage m’a fait comprendre l’importance de cette rose pour ceux qui l’ont espérée et fabriquée, les hommes du passé, ceux de Cordes.
Un vitrail est certes un enseignement pour celui qui le lit,
mais aussi une prière du déchiffrement,
une lumière dans la matière, dans la pierre.
« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église… » Bible.
Par l’évocation d’un cantique en forme de transparence, de rose, d’auréole éternelle, sans début, ni fin, d’instruments de musique « accordés» au ciel, les hommes d’hier nous ont montré comment ils tentaient de louanger Dieu, d’évoquer les psaumes , de chanter leur miséricorde face à l’éternité. N’oublions pas que les temps étaient difficiles, la peste, la grêle, étaient des fléaux, la mort était souveraine comme la mort-maraine des contes populaires . Au XVème siècle, la famine, la guerre de Cent ans avait laissé leurs marques et leurs frayeurs, d’autres guerres se préparaient, l’art était imprégné de l’épouvante et du mystère de la mort.
En 1712, la rose elle-même a éclaté sous la pression des grêlons, comme une malédiction venue du ciel. Il faudra ensuite attendre plus de cent ans pour la restaurer, après la Révolution.
*1712 : « La grêle ravage plusieurs paroisses, elle ne laisse rien sur pied et les habitants de la campagne sont réduits à abandonner leurs terres et à aller chercher la vie ailleurs (…) La plupart ont péri de faim, les autres n’ont pu payer la taille depuis quatre ans(…) La détresse agricole continue en 1713, de telle sorte que , l’année suivante, beaucoup de maisons se trouvaient inoccupées…». (Histoire de la ville de Cordes, 1222-1799-Charles Portal, p 383.)
Aujourd’hui, qu’on soit croyant ou mécréant, cette rose évoque toujours le cycle de l’Univers, et l’histoire de la Bible.
C’est un espace de lumière sacré situé dans le temple, lieu de la spiritualité, de la con-templation. La rose, par le jeu du soleil, comme une fleur de quintessence renait chaque jour.
Pour terminer, je laisse encore la parole aux enfants du collège de Cordes : « cette rose évoque une très longue histoire de la musique, c’est grand, on se sent tout petit… »
Mon voyage s’achève avec eux, c’est le début du vôtre…
Avant de vous quitter, je voudrais remercier les hommes, les femmes, les artisans des siècles passés qui nous ont offert cette rose qui ne finira jamais de nous interroger.
Cette recherche sera publiée prochainement grâce à Monsieur Diéval qui est venu à ma rencontre par je ne sais quel mystère… Sûrement celui d’un instrument à cordes !
J’espère en 2013 pouvoir organiser avec l’aide de tous, une conférence-contée et musicale autour de la rose de Saint-Michel.
L’instrumentarium de la rose serait mis en musique par la Compagnie « Aux couleurs du Moyen Age ». Ce serait le point d’orgue de ce voyage : écouter cette rose de lumière comme une histoire…
Première sensation : dans la pénombre de l’église, la vision de la rose dans le cercle de pierres (grès de Salles), trois auréoles de couleurs, avec en son centre l’agneau blanc, éclatant…
(Photographie Pierre Blanc)
Agneau pascal et phylactère, au centre de la rose
Roi avec la chifonie